27

Les prophètes d’Amon s’étaient de nouveau réunis dans une petite salle du temple de Karnak. Leurs visages étaient sombres.

— J’étais présent sur les lieux, indiqua le Premier Prophète. La grande épouse royale Akhésa fut bien surprise de me trouver là. Elle a su garder son sang-froid.

— Cela ne la rend que plus dangereuse, observa le Second Prophète. Lui avez-vous révélé le sort que nous avions réservé au cadavre de son père ?

— Elle m’y a contraint. Se voyant prise au piège, elle m’a presque agressé. Sans grand respect pour mon âge et ma qualité de grand prêtre, elle m’a questionné avec la dernière des impertinences. Je lui ai répondu que nous avions fait transférer la momie d’Akhénaton dans une tombe de la Vallée des rois où elle serait en sécurité. Amon est tolérant. La folie d’Akhénaton s’est éteinte avec lui. Pourquoi persécuterions-nous un cadavre ?

— À-t-elle été convaincue ? s’inquiéta le Troisième Prophète.

— Je le crois… Ou bien elle a fait semblant.

— Peu importe ! tonna le Second Prophète. À présent, nous savons que la grande épouse royale est restée fidèle à la mémoire de son père et à son hérésie. L’avez-vous mise en garde ?

— J’ai cru l’effrayer en insistant sur l’erreur qu’elle venait de commettre en dévoilant sa véritable nature qu’elle avait cru si bien cacher sous les habits d’une reine. Elle n’a pas tremblé.

— Voilà qui scelle son destin, jugea le Second Prophète. Et celui de ce jeune roi qui lui est entièrement soumis. Aton n’est pas encore mort. Nous l’anéantirons.

 

Le général Horemheb travaillait jour et nuit. Relégué dans des fonctions subalternes qui lui interdisaient l’exercice du pouvoir, il n’en continuait pas moins à se comporter comme le chef des forces armées et de l’administration. La plupart des scribes occupant les postes clés étaient ses amis ou ses obligés. Pas un officier, pas un soldat ne lui avait retiré sa confiance. Même si Toutankhamon comptait quelques partisans influents, le parti du roi pesait bien peu face à celui de Horemheb.

Pourquoi ne s’imposait-il pas comme régent du royaume en reléguant le pâle Toutankhamon au fond des appartements royaux pour qu’il s’y noie dans le luxe et la paresse ?

Il obéissait à Toutankhamon comme il avait obéi à Akhénaton. Servir le roi lui apparaissait comme un devoir impérieux auquel il ne pouvait se soustraire. Il y avait aussi Akhésa… Akhésa qu’il aurait dû écarter, combattre, détruire et qu’il préservait en choisissant l’immobilisme. Cet immobilisme que ses partisans comprenaient de moins en moins.

Horemheb s’était isolé dans un pavillon ombragé au cœur du jardin de son immense villa thébaine. Ses secrétaires lui apportaient quantité de papyrus relatifs à l’économie du pays. À lui seul, le général réunissait les compétences de plusieurs ministres.

La main fine et soignée qui lui tendait un nouveau rouleau scellé n’appartenait pas à l’un des secrétaires. Horemheb leva la tête.

Akhésa, la grande épouse royale, le considérait d’un œil furieux. Horemheb se leva.

— Personne ne vous a annoncée, s’étonna-t-il.

— Votre jardin est bien mal gardé.

Akhésa était vêtue d’un simple pagne et d’une tunique de lin. Nul bijou n’ornait son corps admirable.

— Je comprends mal la raison de cette étrange visite, Votre Majesté.

— Cessez de vous moquer de moi, général ! Pourquoi avoir ordonné de profaner la sépulture de mon père et de détruire son corps ? Pourquoi le poursuivre d’une haine aussi implacable ?

Horemheb blêmit.

— Je n’ai donné aucun ordre en ce sens, affirma-t-il avec indignation. J’ai eu le respect de Pharaon, mon maître, et je l’ai servi fidèlement. J’obéis aujourd’hui à votre époux, le roi légitime. Il n’est aucun acte dont j’aie à rougir. On vous a menti sur mon compte. Une telle machination est forcément l’œuvre du Premier Prophète d’Amon. Il cherche à nous dresser l’un contre l’autre, à faire croire au roi que je complote contre lui ! Voilà la vérité. Je vous le jure sur Imhotep, le sage des sages.

Le regard du général Horemheb ne vacillait pas. La grande épouse royale le dévisagea longuement, avec une froideur qui lui glaça le sang. Puis, sans hâte, elle repartit par le jardin.

Horemheb, la nuque appuyée contre un vieux cep de vigne, reprit avec difficulté sa respiration. C’était bien une reine d’Égypte qu’il avait eue face à lui, l’une de ces souveraines passionnées dont le caractère s’affirmait avec la pratique du pouvoir.

Le général prenait conscience que sa marge de manœuvre était beaucoup plus étroite qu’il ne l’avait imaginé. Les prêtres d’Amon s’étaient servis de lui comme d’un pion alors qu’il croyait les avoir soumis. Il avait commis un acte de vanité. La vie dans la cité du soleil lui avait fait oublier la malignité de certains religieux contre lesquels le défunt Akhénaton n’avait pas eu tort de lutter. L’avenir s’assombrissait. Le parti thébain tenait davantage à détruire tout souvenir de l’hérétique et à chasser sa fille du pouvoir qu’à installer Horemheb sur le trône.

Le général rassurait. Chacun le savait loyal, décidé à préserver l’intégrité de l’Égypte. Ce rôle n’arrangeait-il pas le couple royal comme les prêtres de Karnak ? Ces adversaires farouches n’avaient-ils pas conclu une alliance à ses dépens ?

La voie menant au trône devenait de plus en plus risquée. La sagesse ne consistait-elle pas à renoncer, à se contenter d’une position enviable ?

Mais il y avait Akhésa. Son parfum au jasmin, qui flottait encore dans l’air, rappelait la présence de cet être de feu. Un feu auquel Horemheb aimait tant se brûler.

 

La servante nubienne coiffait Akhésa avec la plus grande délicatesse, après lui avoir donné à boire du lait au miel. La grande épouse royale se regardait d’une manière distraite dans son miroir, trop préoccupée par la question qui l’obsédait : Horemheb avait-il menti ?

Elle ne parvenait pas à forger son opinion.

— Va-t’en, ordonna-t-elle à la Nubienne. C’est l’heure de ma leçon.

L’ambassadeur Hanis, qui patientait dans l’antichambre, fut introduit dans le cabinet de travail de la grande épouse royale. Comme chaque matin, pendant deux heures, il lui enseignait le hittite, le syrien et le phénicien. Akhésa, dotée d’une mémoire exceptionnelle, apprenait vite. Bientôt, elle parlerait presque couramment plusieurs langues étrangères et les écrirait avec facilité.

Entre le professeur et l’élève, un climat de complicité s’était instauré. Ils prenaient un égal plaisir à ce travail. Akhésa fut d’autant plus surprise par la mauvaise humeur apparente du diplomate.

— Que vous arrive-t-il, Hanis ?

— Je m’inquiète pour vous, Votre Majesté. Vous a-t-on laissé voir la momie de votre père ?

— Elle repose dans une petite tombe gardée en permanence.

— Le roi a-t-il reçu des nouvelles de Nubie ?

— Non. Il est inquiet pour son ami Houy, le vice-roi.

— Et vous, soyez inquiète pour notre pays. Si le Sud se révolte, il n’y aura plus d’extraction d’or. Les prêtres manqueront du précieux métal pour leurs temples et ils en rendront le roi directement responsable.

L’ambassadeur était lucide. Inutile de cacher la vérité. Toutankhamon et Akhésa étaient à la merci de la révolte des tribus nègres.

 

La journée était torride. La chaleur de l’été réduisait les travaux des champs à leur plus simple expression. Les paysans, nus, récoltaient les épis mûrs et dorés qu’ils coupaient haut sur la tige à l’aide d’une faucille. Ils buvaient à petites gorgées de l’eau fraîche de leurs outres et s’accordaient de longs moments de repos à l’ombre d’un tamaris ou d’un acacia.

Ne redoutant pas les ardeurs du soleil, Toutankhamon avait entraîné Akhésa sur les hauteurs dominant « le Sublime des Sublimes[17] », le temple construit par la reine Hatchepsout. S’aidant d’un bâton, le jeune roi avait ouvert le chemin, chassant des vipères qui, dérangées, se réfugièrent sous des roches brûlées par l’implacable lumière.

— Pourquoi aller si haut ? interrogea Akhésa, la bouche sèche.

— Continuons ! Nous sommes presque arrivés !

Toutankhamon se montrait enthousiaste, ignorant la fatigue. Akhésa l’avait rarement vu dans cet état d’exaltation. Ils franchirent une profonde crevasse et s’arrêtèrent sur un promontoire. La vue était si admirable qu’ils retinrent leur souffle. Émergeant d’un rideau d’arbres à encens entre lesquels étaient disposés des lauriers, les terrasses du temple s’élançaient vers la falaise servant de mur de fond au Sublime des Sublimes. L’architecte avait conclu un pacte avec la montagne, la recréant comme un hymne à la reine divinisée qui vivait ici pour l’éternité.

— Je te ferai construire un sanctuaire plus beau que celui-ci promit Toutankhamon à son épouse. Maya, mon Maître d’Œuvre, dirigera lui-même les travaux.

Il l’avait prise tendrement par la taille. Le temple de la reine-pharaon, la beauté de ses jardins, le vert de la bande étroite des cultures entre le désert et le Nil… C’était l’Égypte aimée des dieux, la terre sacrée occupant le centre de l’univers. Akhésa éprouvait un formidable sentiment de puissance. Elle n’avait jamais vu le pays – son pays – de si haut. Nulle splendeur ne pouvait lui être comparée.

— J’ai trouvé cet endroit lorsque j’étais enfant, expliqua Toutankhamon. Je m’y réfugiais pour échapper aux assommantes leçons de protocole.

— Et tu supportais l’intensité du soleil des heures durant ?

— Non… Passons cet éperon rocheux. Je vais te faire connaître un paradis.

Se collant contre la paroi et avançant avec prudence pour ne pas glisser, les deux jeunes gens progressèrent pendant quelques mètres avant d’apercevoir l’entrée d’une grotte. Tenant Akhésa par la main, Toutankhamon s’y engouffra le premier.

Il régnait là une merveilleuse fraîcheur. Sur le sol, un tapis de mousse. Dans la pénombre, le bruit délicieux de l’eau coulant avec régularité sur la pierre.

— Une source de la déesse Hathor, continua Toutankhamon. C’est moi qui l’ai découverte. Nakhtmin avait affirmé que seul un roi avait ce don. Je ne l’avais pas cru.

Akhésa se sentait envoûtée. Elle avait quitté le domaine lumineux du soleil pour pénétrer dans cet univers secret où l’on n’osait pas élever la voix, où le corps se détendait, jouissant de mille plaisirs indicibles que lui offrait la déesse cachée dans l’eau surgissant de l’océan d’énergie qui entourait la terre.

Les deux jeunes gens ôtèrent pagnes et tuniques, couverts de sable et de poussière. Nus, ils s’aspergèrent comme des enfants. La source était si douce qu’Akhésa se coucha sur le dos à l’endroit où elle jaillissait. L’eau tombait sur ses seins, coulait sur son ventre, inondait lentement ses cuisses. Toutankhamon la contempla, ivre de bonheur. Il remerciait les dieux de lui avoir donné la plus belle des femmes. Pour la garder, il lui fallait devenir un authentique pharaon.

Son enfance mourait dans cette grotte où il avait passé tant d’heures à rêver. Elle cédait la place à l’amour, un amour fou pour la grande épouse royale dont les yeux brillaient de désir.

Il s’étendit sur elle. Ils s’aimèrent avec passion, baignés par l’eau fraîche de la déesse Hathor.

 

Au milieu de la nuit, Toutankhamon fut pris d’une toux incoercible. Le dîner avait pourtant été léger : de l’agneau rôti, de la purée de figues et du raisin. Il n’avait bu qu’une coupe de vin rouge qu’il avait jugé un peu amer et avait été victime d’un malaise. Ce dernier s’était accentué, malgré le vomitif administré par Akhésa.

La reine se souvenait des instants dramatiques où son époux avait craché du sang. Elle épongea la sueur qui perlait à son front avec un linge parfumé. Les médecins du palais préparèrent des potions qui plongèrent le monarque dans un profond sommeil.

Seule sur la terrasse supérieure du palais, les cheveux battus par le vent d’une nuit chaude, la grande épouse royale laissa son regard errer sur la cime de la montagne thébaine. Là régnait la déesse du silence qui avait accueilli en son sein les cris d’amour du couple royal. Comme Toutankhamon l’avait rendue heureuse dans le secret de cette grotte ! Pourquoi le destin le frappait-il encore ? Il fallait qu’elle cache sa maladie aux courtisans et au peuple. Un pharaon ne devait manifester aucune faiblesse. Le serment prêté par les médecins rendrait leur bouche muette. Mais leur science suffirait-elle à guérir le maître de l’Égypte ?

 

Sur le toit du grand temple d’Amon-Rê de Karnak, le Premier Prophète, appuyé sur sa canne, observait le ciel en compagnie des astrologues qui déchiffraient dans les étoiles la destinée de Pharaon. Depuis l’origine des dynasties, ils enregistraient le déplacement des planètes et divisaient le ciel en décans pour mieux en comprendre les lois.

Voilà plus de dix années que le Premier Prophète, qui avait reçu l’enseignement des astrologues comme n’importe quel autre prêtre, n’avait pas passé une nuit en leur compagnie. La présence du personnage le plus puissant de Karnak émut le plus jeune d’entre eux au point de lui faire manquer sa visée sur l’« Horus rouge[18] ». Le vieillard réclama les conclusions des savants et leur intima l’ordre de garder secret ce qu’ils avaient vu dans les étoiles. Puis il leur demanda de quitter le toit du temple et de regagner leurs modestes logements aménagés à l’intérieur de l’enceinte sacrée.

Le Premier Prophète avait besoin d’être seul. Seul avec les dieux. Les décisions qu’il avait prises lui pesaient. Il n’avait jamais eu le sentiment d’intervenir aussi directement dans les affaires de l’État, d’orienter le cours du destin de manière aussi délibérée. Mais le couple royal lui avait-il laissé le choix ? N’était-il pas lui-même esclave d’une hiérarchie qui lui dictait sa conduite ? Akhénaton ne s’était pas trompé… Les prêtres pouvaient devenir les plus scélérats des hommes. Lui, qui était leur chef suprême, se révélait incapable de les transformer. Bientôt, il comparaîtrait devant le tribunal d’Osiris. Et c’est au juge de l’au-delà qu’il aurait à rendre des comptes.

Il ne redoutait pas ce moment. Il était trop vieux pour résister à la volonté divine qui l’avait conduit à se dresser contre la grande épouse royale. Mais Akhésa n’avait-elle pas commis une folie en restant fidèle à la mémoire de son père ? N’avait-il pas le devoir de détruire les ennemis d’Amon, du dieu qui faisait la grandeur de l’Égypte ?

Dans la clarté lunaire se détachaient les façades des temples et les colonnades, couvertes de reliefs montrant Pharaon en adoration devant les divinités. Ici, tout était sérénité. Sans doute parce que les hommes se taisaient et passaient comme des ombres sous les portiques où seuls les signes sacrés, les hiéroglyphes gravés dans la pierre d’éternité, laissaient entendre leur voix secrète.

« Trop tard », jugea le Premier Prophète. « Trop tard pour reculer. »

 

Akhésa avait veillé sur son mari la nuit durant. Toutankhamon était plongé dans une sorte de léthargie. Elle n’accepterait pas qu’il meure. Elle avait placé sur son cœur un scarabée portant des phrases extraites du « Livre de sortir dans la lumière ». Le texte garantissait une heureuse évolution de la maladie. Le cœur du roi demeurerait dans sa poitrine. Il ne serait pas arraché par les puissances démoniaques.

Akhésa se sentait animée d’une si farouche énergie qu’elle vaincrait les démons qui s’étaient introduits dans le sang de Toutankhamon. Elle avait lutté contre eux pendant les heures dangereuses où le soleil traversait les régions ténébreuses, peuplées de dunes entre lesquelles se faufilait un gigantesque serpent cherchant à avaler la lumière. À chaque début d’heure, Akhésa avait planté un couteau dans un reptile en cire qu’elle plongeait dans la flamme d’un brasier.

Quand une lueur rouge, encore faible, avait déchiré le voile recouvrant la montagne thébaine, Akhésa avait compris que le nouveau soleil sortait du lac de flammes après avoir triomphé du dragon. Le roi, lui aussi, avait vaincu le néant. Sa respiration était devenue très calme. Son visage s’était coloré à nouveau. Épuisée, Akhésa s’était laissée glisser dans le sommeil.

Mais son repos n’avait guère duré. Les cheveux en désordre, les yeux fous, sa servante nubienne l’avait réveillée en poussant des cris.

— Maîtresse ! C’est horrible, horrible ! Il faut y aller tout de suite… Tout de suite !

— Aller où ? Explique-toi !

— Dans la vallée des tombes… Ils ont osé.

 

Akhésa avait fait appel à Nakhtmin qui, prenant la tête d’une escorte, la conduisit jusqu’à l’entrée de la vallée aride, s’ouvrant au pied de la cime thébaine. Là étaient enterrés les puissants souverains qui avaient fait la gloire de Thèbes. En ces lieux désolés, brûlés par un soleil implacable, régnait d’ordinaire un épais silence. L’attroupement d’hommes armés, criant fort et courant çà et là près de l’entrée de la Vallée des rois, n’en était que plus incongru.

Distribuant des ordres brefs mais impérieux, Nakhtmin rétablit l’ordre en quelques minutes. Les gardiens retournèrent à leur poste, qui sur les promontoires, qui dans les anfractuosités naturelles de la roche. La grande épouse royale s’avança sur l’étroit sentier menant au cœur de la nécropole. Elle passa devant des tombeaux fermés. Sur le seuil de l’un d’eux trois artisans préparaient du plâtre qu’ils broyaient à l’aide d’un pilon. Il servirait à enduire la surface d’une salle destinée à être décorée de peintures et de colonnes de hiéroglyphes. Les hommes levèrent à peine les yeux vers la reine, répétant leurs gestes avec lenteur et précision.

Akhésa marchait vite, vers l’endroit d’où s’élevait une fumée noire. Jusqu’à cet instant, elle avait refusé de croire à l’information colportée par sa servante. En approchant de la tombe où avait été déposée la momie d’Akhénaton, il lui fallut accepter l’effroyable réalité.

La sépulture avait été incendiée.

 

L’enquête dura plusieurs jours. Akhésa lut avec attention les rapports détaillés que lui fournissait Nakhtmin, chargé de coordonner les interrogatoires des témoins. Le drame s’était produit pendant la nuit. Aucun des artisans de la confrérie de Deir el-Médineh n’était formellement accusé. L’un d’eux, négligent, avait dû oublier une torche allumée. La flamme avait gagné tout le tombeau, détruisant la momie du pharaon hérétique.

Folle de rage, Akhésa jeta les documents sur le sol. On la prenait pour une simple d’esprit. Les artisans, dont elle connaissait la plupart des secrets après son initiation à la confrérie, utilisaient des mèches spéciales qui ne dégageaient aucune fumée. Considérées comme des produits de haut prix, elles étaient collectées et inventoriées avec soin au terme de chaque journée de travail.

Elle avait la certitude qu’il s’agissait d’un incendie criminel. Qui d’autre que le Premier Prophète d’Amon était assez cruel pour s’acharner ainsi sur le corps d’un ennemi disparu ? Qui d’autre aurait souhaité l’anéantissement du pharaon dont l’âme, privée du support de la momie, ne reviendrait jamais sur terre ?

Akhésa avait espéré que le corps d’Akhénaton demeurerait vivant, grâce à la magie du culte funéraire, et qu’il brillerait comme une étoile impérissable capable de guider, longtemps encore, les adorateurs du soleil de vérité.

Elle avait péché par naïveté. Akhénaton restait dangereux aux yeux des prêtres d’Amon. Ils avaient choisi la plus impitoyable des solutions, coupant le lien ultime existant entre Akhésa et son père. Condamnée à taire sa foi et à la vivre dans la solitude, la grande épouse royale se sentit privée de volonté de combattre. Perdre son père pour la seconde fois anéantissait l’espoir de voir renaître une Égypte débarrassée des traîtres et des lâches. Sans lui, sans la présence de son corps de lumière veillant sur son pays depuis les ténèbres du tombeau, elle n’aurait plus la force de lutter contre une hiérarchie de prêtres aux mille yeux et aux mille oreilles.

La grande épouse royale sortit du palais pour faire quelques pas dans le jardin suspendu, indifférente aux senteurs suaves et aux couleurs enchanteresses des massifs de fleurs. La tête vide, traversée de souvenirs brisés, elle avançait avec peine.

Levant les yeux vers le soleil, elle pleura.

 

Le roi Toutankhamon, encore très faible, fit en vain le siège des appartements de son épouse. Akhésa ne recevait personne, pas même lui. Comprenant sa peine, il n’en était pas moins impatient de la revoir. Être privé de sa présence le réduisait à l’inactivité. Renvoyant ses conseillers, Toutankhamon écrivit une longue lettre, tentant de persuader son épouse qu’ils seraient plus forts, ensemble, pour affronter l’adversité. Il lui chantait l’amour, leur amour, la seule force capable d’orienter le destin en leur faveur. La servante nubienne la porta à sa maîtresse. Mais Akhésa resta muette.

La nuit tombée, Toutankhamon s’assoupit. Les membres douloureux, il sombra dans un sommeil peuplé de rêves tourmentés où des démons à tête d’âne et de lièvre essayaient de lui couper le cou à l’aide d’immenses couteaux dégoulinant de sang. L’un d’eux, borgne et unijambiste, le saisit par l’épaule. Le contact de ses doigts glacés l’éveilla en sursaut.

Toutankhamon ouvrit des yeux affolés. Devant lui se tenait son ami Houy, le visage grave, enfin revenu de la Nubie révoltée.

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